CHAPITRE PREMIER

La Californie ?

Une atmosphère d'étuve ! Telle fut l'impression de Raymond Dorval en sortant du studio à air conditionné qu'il avait loué la veille au Verdugo Motel. Ce mois de juillet était torride à Los Angeles et le motel au pied des Verdugos Mountains, offrait à ses hôtes une agréable fraîcheur, à défaut de leur procurer l'air des cimes !

A une trentaine de kilomètres du cœur de l'immense cité californienne, ces montagnes — peu élevées, il faut bien le dire — avec leurs pentes plantées de pins, de mimosas, d'acacias et d'eucalyptus, constituaient pour le touriste un agréable lieu de promenade.

Mais pour les cent vingt congressistes venus de tous les coins du monde en ce district de Los Angeles, il n'était pas question de tourisme, mais bien plutôt de travail, ainsi que l'annonçait la large banderole déployée à l'entrée des jardins du motel : International U.F.O's Groups Convention « Convention Internationale des Groupes d'Etude des Objets Volants Non Identifiés ».

Raymond Dorval, la trentaine, blond, le teint hâlé, des yeux bleus volontiers rieurs, aurait pu passer aisément pour un moniteur de culture physique avec son allure sportive et désinvolte ; ce qui n'excluait point chez lui une discrète élégance avec son costume gris perle et sa chemise blanche à col ouvert, ainsi que l'y autorisait la chaleur de l'été !

Un attaché-case à la main, son éternel appareil photographique suspendu en sautoir, Dorval se rendit au parking afin de récupérer un dossier resté dans sa voiture — une Ford Escort louée le matin même — et revint vers le bâtiment principal du motel, dans la grande salle duquel allait se tenir la convention.

Dorval s'arrêta en pestant : une fois de plus, les lacets de ses souliers neufs s'étaient dénoués ! Il s'adossa à l'angle d'un mur, renoua les cordonnets et reçut dans le bas du dos une poussée qui faillit le faire choir ! Dorval put rétablir son équilibre et se retourna pour apostropher le maladroit venu buter sur lui : un homme d'une soixantaine d'années, le nez chaussé de lunettes dont les verres avaient dû être taillés dans un miroir de télescope ! Distrait et fort myope, celui-ci se confondit en excuses puis, avisant l'appareil prolongé d'un objectif semi-grand angle suspendu sur la poitrine de sa « victime », il arbora un large sourire :

— Journaliste, sans doute ?

— Congressiste, simplement. Mon nom est Raymond Dorval ; je représente l'I.M.S.A., l'Institut Mondial des Sciences Avancées et son Département O.V.N.I. ([1])

L'homme aux lunettes-hublots se renfrogna aussitôt, laissa retomber la main qu'il allait tendre au Français et, sans un mot, il lui tourna le dos pour se hâter vers la salie du congrès.

Dorval demeura perplexe, choqué aussi par la moue subitement dédaigneuse de l'inconnu. Un rire clair, juvénile, le fit se retourner : devant le minois amusé de cette jeune femme aux longs cheveux bruns, il décida de retrouver sa bonne humeur. Vêtue d'une minirobe pastel au large décolleté, un porte-documents sous le bras, elle s'avança et lui tendit la main :

— Monica Rimbaldi, envoyée par l’Ufficio d'Inchiesta sui Dischi Volanti ([2]), de Rome, fit-elle, en anglais, avec une façon très latine de prononcer les « r ».

Lorsqu'il se fut à son tour présenté, la jeune femme s'exclama, en français, cette fois :

— Enfin, un « presque » compatriote ! Je ne suis pas fâchée de pouvoir m'exprimer dans la langue qui fut celle de ma mère !

— Vous parlez aussi fort bien l'anglais, Monica. Mais, dites-moi, ce n'est pas seulement parce que ce maladroit a failli me flanquer par terre que vous avez éclaté de rire ?

— Non, Raymond, convint-elle en l'appelant par son prénom, aussi amicalement qu'il l'avait fait pour elle. J'ai compris que vous ne connaissiez pas ce... maladroit et cela m'a fait rire.

— Vous le connaissez donc ?

— De réputation, tout comme vous devez le connaître, d'ailleurs, puisque vous êtes vous aussi un spécialiste en espiologie. Ce gros bonhomme à lunettes n'était autre que le Dr Horace Jokerst.

— L'animal ! rit-il à son tour. Je comprends alors sa réaction, son désir de me fuir comme un pestiféré ! Horace Jokerst, l'ennemi juré des ufologues ([3]) du monde entier ! Le chef de file américain des anti-soucoupistes !

— Je vois que vous connaissez vos classiques, Raymond !

Un homme d'une trentaine d'années vint à leur rencontre, cheveux châtains assez longs, portant un costume de toile légère et la cravate dénouée ; tenue sans doute inélégante mais tellement excusable par cette chaleur.

— En forme, Ray, pour cette première séance de travail ? fit-il en resserrant (comme à regret !) son nœud de cravate pour saluer aussi la jeune femme.

— Tout à fait, Harry, répondit Dorval en faisant les présentations. Harry Forrest, président de la Commission Delta pour l'étude des O.V.N.I., en Californie et organisateur de notre Convention internationale. Monica Rimbaldi, notre consœur de Rome, Italie.

Rome, Italie ! En Europe, une telle précision passerait aisément pour une évidence proche de la lapalissade alors qu'aux Etats-Unis il est courant, lors des présentations, d'ajouter son lieu d'origine ; précaution non superflue si l'on sait qu'il existe aussi en Amérique des « Paris », « Rome » et « Moscou » !

— Ravi de vous rencontrer, Monica, fit l'Américain. Nous correspondons tous depuis des années, mais cette Convention va enfin nous permettre de faire connaissance les uns les autres. Le monde des ufologues est une grande famille dont les membres, hélas ! doivent la plupart du temps se contenter d'établir simplement des relations épistolaires. Soyez la bienvenue à Los Angeles, Monica.

— Merci, Harry. Je suis également enchantée à la perspective de pouvoir rencontrer ici tous nos collègues représentant les groupes d'études œuvrant sur l'ancien et le nouveau continents.

— Harry, savez-vous de qui nous disions du mal, juste avant votre arrivée ?

L'Américain releva un sourcil, étonné, et secoua négativement la tête.

— Du Dr Jokerst, le célèbre météorologiste et grand pourfendeur de soucoupistes devant l'Eternel !

Forrest releva alors les deux sourcils :

— C'est pas vrai ? Il est ici ? Mais nous ne l'avons pas invité !

— Il se sera invité lui-même, voilà tout, comptant bien, selon son habitude, flétrir les pauvres en esprit, ivrognes ou farceurs que nous sommes, ainsi qu'il nous qualifie dans ses articles et conférences !

— Comment peut-il ignorer que notre congrès est strictement privé ? s'insurgea l'Américain. C'est seulement au cours de notre dernière séance, dans trois jours, que nous ouvrirons nos portes à la presse, au public et... à nos adversaires ! Bill Howard sera d'ailleurs au contrôle, afin de refouler toute personne non munie d'une invitation nominale.

Au contrôle, effectivement, ils trouvèrent Bill Howard — vice-président de la commission Delta, un homme d'une quarantaine d'années, à la carrure de lutteur ! — qui entendait justement s'opposer à l'entrée du Dr Jokerst !

— Ah ! tu tombes à point, Harry ! fit-il en voyant arriver son ami.

— Oui, vous tombez à point ! rechigna le Dr Jokerst. Je proteste contre l'ostracisme de votre employé qui prétend m'interdire l'accès de...

— Bill n'est pas mon employé, docteur Jokerst ! Nos groupes de recherches ne sont pas financés par le gouvernement et leur trésorerie modeste ne leur permet pas de s'adjoindre des collaborateurs rémunérés. Bill Howard est le vice-président de la commission Delta que j'ai l'honneur de présider et le secrétaire général de notre Convention. Ce congrès est exclusivement réservé aux spécialistes en ufologie. Avez-vous une carte d'invitation à votre nom ?

— Mais bien sûr !

Et de brandir le bristol — parfaitement authentique — sur lequel loucha le président de la Convention.

— Vous ne figuriez pas sur nos listes d'invités, docteur Jokerst, comment vous êtes-vous procuré cette invitation ?

— Je ne me la suis pas procurée, monsieur Forrest, je l'ai reçue par la poste, dans cette enveloppe ! répliqua-t-il, outré par ces insinuations.

La chose demeurant inexplicable, Harry Forrest dut s'incliner :

— Soit... Je ne comprends pas comment cette invitation, nominale, a pu vous être envoyée, mais, du moment que vous l'avez, je ne puis vous interdire d'assister à nos travaux.

— Vous êtes bien bon i grogna Jokerst en rempochant le bristol pour pénétrer, hautain, dans la grande salle.

— Un petit mystère qu'il faudra éclaircir, cette invitation ! rumina l'Américain. Tous les congressistes sont arrivés, Bill ?

— Nous n'attendons plus personne. Les autres membres du comité de la Convention sont déjà sur le podium et n'attendent plus que vous trois.

Le président Forrest, suivi par Raymond Dorval et Monica Rimbaldi, contourna le bâtiment pour emprunter une porte latérale donnant sur les coulisses. Derrière une longue table chargée de micros, ils prirent place parmi huit autres collègues et le rideau put alors se lever. L'assistance, composée des délégués des innombrables groupes d'étude envoyés par trente nations différentes, applaudit avec chaleur.

Après avoir présenté les membres du comité international de la Convention assis à ses côtés, le président Forrest fit une courte pause et ajouta, avec une joie feinte :

— Mes chers amis, avant de procéder à l'ouverture des travaux, je tiens à saluer la présence parmi nous d'une personnalité que nous connaissons bien. J'ai nommé : le Dr Horace Jokerst...

Et de s'incliner en désignant le météorologiste qui, mécontent de cette publicité dans ce milieu « hostile », ne dut pas moins se lever pour répondre d'une sèche inclination de tête au salut du président. Il recueillit de maigres, de très maigres applaudissements et se rassit avec un mouvement d'humeur.

— Le 24 juin 1947, commença Harry Forrest, l'un de nos compatriotes

— Kenneth Arnold — aux commandes de son avion, observait les évolutions de neuf disques volants, au-dessus du mont Rainier, dans l'Etat de Washington. Depuis cette date, le terme de « soucoupes volantes » — que nous réprouvons tous, en raison de son petit côté dérisoire — est entré dans les mœurs, et les astronefs extra-terrestres que ce terme désigne sont entrés dans l'histoire. En trente-cinq ans d'observation, on estime grosso modo à cent millions le nombre des témoins oculaires dans notre pays et bien davantage dans le monde !

» Mais à quoi bon vouloir diminuer ou grossir ce chiffre puisque, aujourd'hui, il ne fait plus le moindre doute que ces disques volants sont des E.S.P.I., des « Engins Spatiaux de Provenance Indéterminée », à savoir : des astronefs venus d'un autre système solaire et...

Jaillissant de sa place comme un diable de sa boîte, le météorologiste lança :

— Fariboles ! Prouvez-le !

Harry Forrest, qui s'attendait à ce genre d'interruption, conserva tout son calme pour répondre à l'interpellateur :

— Docteur Jokerst, j'ignore par quel miracle vous avez reçu l'invitation qui nous force à tolérer votre présence parmi nous. Je tiens cependant à vous rappeler ceci : notre convention internationale n'est absolument pas une réunion publique et contradictoire. Les congressistes ici présent, venus de tous les pays du monde, sont des spécialistes avertis des problèmes qui nous préoccupent. Il ne s'agit donc pas, pour nous, d'ergoter pour savoir si oui ou non les E.S.P.I. existent, mais, bien plutôt de tenter de savoir pourquoi ils observent notre planète. Cela dit, je vous prie de réserver vos interventions intempestives pour les réunions électorales où les polémistes ont beau jeu de se faire remarquer !

Des applaudissements et des rires couronnèrent cette pertinente riposte et le Dr Jokerst se tint coi.

Après avoir brossé un tableau de la singulière recrudescence d'observations d'engins spatiaux enregistrée récemment de par le monde, Harry Forrest donna successivement la parole aux membres du comité international qui siégeait à ses côtés, et tout d'abord à la ravissante Monica Rimbaldi, qui fit un exposé très applaudi sur les recherches espiologiques menées en Italie et en Sicile.

Raymond Dorval lui succéda au micro et commença en ces termes :

— Conscients de l'importance planétaire des multiples problèmes soulevés par la présence des

— V.N.I. dans nos cieux, l'I.M.S.A. et les

— M.S.A.-COR, ou Associations des Correspondants de l'I.S.M.A., de par le monde, sont prêts à toute éventualité...

» Car il est bien évident que si des astronefs nous observent depuis des millénaires d'une façon sporadique et quotidiennement depuis trente-cinq ans, ce n'est point seulement par simple curiosité. Nous sommes fondés à croire que, un jour, les occupants de ces engins établiront des rapports avec notre espèce.

» Nous sommes unis, aussi, pour faire front contre nos adversaires bornés de la science officielle qui, jouissant de la considération des gouvernements, riches et influents, nous écrasent de leur morgue et de leurs sarcasmes. Nous passons même pour des escrocs ou des illuminés, ainsi que certains bouffons extravagants l'ont dit...

La salle éclata de rire et tous les regards convergèrent vers le Dr Jokerst qui fut le dernier à réaliser le jeu de mots que Raymond Dorval, maniant avec brio la langue américaine, venait de faire à ses dépens ! En effet, sa phrase « ainsi que certains bouffons extravagants l'ont dit » se traduit par « like certain skimbleskamble jokers say », où le terme de jokers signifie bouffons. Et de jokers à Jokerst, il n'y a phonétiquement que fort peu de différence !

Ecarlate d'indignation, le météorologiste fusa de nouveau de son siège pour riposter à l'outrage, mais un incident absolument ahurissant devait l'en empêcher et le plonger dans la même stupeur que toute l'assistance.

Le long du mur, à droite du podium, venait d'apparaître une petite boule de lumière, rougeâtre, nimbée d'une auréole jaune ! De la grosseur d'un pamplemousse, elle paraissait immatérielle et se déplaçait en silence, devant le podium, au niveau du comité international,

— Restez calmes, mes amis ! conseilla le président Forrest en suivant des yeux la sphère de lumière rouge. Ce n'est pas la première fois qu'un phénomène de cette nature se manifeste. Certes, il s'agissait alors de petits globes de lumière escortant des avions, tournoyant autour d'eux et, parfois, se matérialisant dans leur carlingue ([4]), mais rien de fâcheux ne survint à ces avions ni à leurs passagers. Et ici, dans cette salle, ce même type d'objets ne doit pas présenter plus de danger...

— Il s'agit très probablement d'un dispositif d'observation rapproché, commenta Raymond Dorval en armant hâtivement son appareil pour prendre quelques clichés...

L'objectif semi-grand angle lui permettrait d'obtenir des photos montrant à la fois l'étrange apparition lumineuse et une partie de l'assistance, en arrière-plan.

— Mes amis ! lança soudain le président, excité. Que ceux qui disposent d'appareils photographiques ou de caméras sortent immédiatement ! Regardez le ciel, tâchez de repérer l'engin depuis lequel ce... cet objet est téléguidé !

En désordre et se bousculant, une trentaine d'hommes et de femmes se précipitèrent vers les portes et même les baies vitrées qu'ils ouvrirent pour sauter sur les plates-bandes fleuries et courir dans le jardin du motel ! L'un d'eux faillit même laisser choir le téléobjectif qu'il essayait — tout en courant ! — de fixer sur son appareil à cellule cadmium-nickel !

Et bientôt, des cris, des exclamations parvinrent jusque dans la salle :

— Un engin, à très haute altitude !

— Un disque à reflets métalliques !

— Oui, avec un halo rouge et vert !

Les descriptions fusaient de toutes parts et le restant de l'assistance se rua vers les baies vitrées pour jouir du spectacle. La tentation était grande, pour le président et ses amis, d'imiter les spectateurs, mais Dorval, fasciné par cette petite boule de lumière écarlate qui défilait très lentement devant eux, conseilla :

— Ne bougeons pas, Harry ! Observez attentivement ce petit engin téléguidé : il a l'air d'être immatériel, mais il s'agit d'une illusion provoquée par le champ d'ionisation dont il est enveloppé... Ne remarquez-vous pas qu'il marque un léger temps d'arrêt devant chacun d'entre nous ?

— Si, je l'ai remarqué...

— Et vous en concluez quoi, Raymond ? s'enquit Monica, intriguée.

— Qu'il doit nous... photographier, nous filmer, envoyer nos images à l'astronef stationnaire à haute altitude au-dessus du motel ou des Verdugos Mountains !

Ils restèrent un instant silencieux, impressionnés par l'examen dont ils étaient l'objet puis le Français rompit le silence en fixant de ses yeux la petite sphère lumineuse :

— Je m'adresse à vous, occupants de l'astronef qui contrôlez cet appareil d'observation en forme de globe lumineux. Je ne sais si mes paroles vous parviennent ni si vous comprenez ma langue, mais si c'est bien le cas, comme je le suppose, accusez réception de mon message, d'une façon ou d'une autre.

Au-dehors, des exclamations jaillirent de la foule éparpillée dans le jardin. Surexcité, oubliant et l'anglais et le vouvoiement, Dorval cria à sa voisine :

— Vite, Monica ! Va voir ce qu'il se passe !

La jeune fille courut vers la première baie vitrée, la franchit d'un saut en ciseau et n'eut pas besoin d'aller plus loin : en levant les yeux, elle aperçut dans le ciel un disque de métal brillant, auréolé de lueurs vertes et rouges.

— L'appareil s'est mis à décrire des zigzags ! lança-t-elle d'une voix tendue par l'émotion. Il va de droite à gauche en suivant une ligne brisée.

— Continuez de l'observer...

Raymond Dorval reporta son attention sur le globe lumineux et reprit :

— Je m'adresse à vous de nouveau, à vous qui pilotez cet astronef au-dessus de Los Angeles. Si vos évolutions en ligne brisée sont bien la réponse à ma précédente question, décrivez maintenant dans le ciel un grand cercle pour confirmation...

La voix de Monica Rimbaldi leur parvint presque aussitôt :

— Ray ! Harry ! L'engin a cessé de zigzaguer ! Il tournoie sur lui-même en dessinant un cercle au-dessus de nos têtes !

— Bon sang ! jubila Forrest. Ils comprennent notre langue puisqu'ils ont obéi à vos messages ! C'est... formidable !

L'Américain regarda fixement la sphère lumineuse qui repassait devant eux avec lenteur et questionna :

— Pourquoi n'établissez-vous pas un contact avec nous ? Je ne parle pas des Terriens en général mais de nous-mêmes, les spécialistes des problèmes soulevés par la présence de vos astronefs sur notre planète ? Nos recherches sont strictement désintéressées et mieux que quiconque nous sommes en mesure de vous comprendre, peut-être même de vous aider à préparer des contacts futurs avec les autorités qui, jusqu'ici, hélas ! se sont laissées berner par les savants à votre sujet...

En guise de réponse, la sphère écarlate s'éteignit, disparut, tandis qu'au-dehors s'élevaient des cris d'étonnement, Dorval et ses compagnons abandonnèrent alors le podium pour rejoindre les autres, dans le jardin. Ils arrivèrent au moment où le disque nimbé de lueurs vertes et rouges s'éloignait, grimpait à une allure vertigineuse.

— Voilà ce qui l'a fait déguerpir et nous a privés, peut-être, d'établir prochainement un contact ! grommela Forrest en désignant un chasseur à réaction qui arrivait du sud-est. Les radars de la Marc Air Force Base ont dû détecter l'astronef et lancer ce chasseur à ses trousses !

— Elle est proche d'ici, cette base ?

— Guère plus de soixante miles, Ray.

— Environ cent kilomètres, c'est suffisamment près, en effet, pour que le chasseur ait eu le temps de décoller et d'arriver en vue de l'engin. Mais celui-ci ne l'a pas attendu et a pris la tangente après avoir récupéré — peut-être par dématérialisation — la petite sphère lumineuse venue nous... observer dans sa salle même du congrès !

— Eh ! Docteur Jokerst ! appela Forrest en avisant le météorologiste qui, mal à l'aise et discrètement, s'apprêtait à regagner la salle. Vous avez sûrement une « théorie » pour rendre compte de cet... incident ?

— Je pense que nous ne sommes pas à l'abri des hallucinations, voilà tout, dit-il en haussant les épaules.

— Vous niez la matérialité de ce que nous avons tous vu ?

— Non, mais je nie les conclusions que vous en tirez. Cet avion a pris, tout comme nous, une masse de gaz ionisé — du plasma, si vous préférez — pour ce que vous, vous appelez une soucoupe volante. Quant à ce globe lumineux, rougeâtre, qui traversa la salle, c'est indéniablement une manifestation de la foudre en boule.

— Ben, voyons ! fit l'Américain en levant les yeux au ciel.

Quelques minutes plus tard, les congressistes réunis de nouveau dans la grande salle, la séance reprit sur une intervention de Raymond Dorval. Joignant les mains dans un geste de prière qui amena des sourires parmi l'assistance, il proclama :

— Rendons grâce à la Providence de nous avoir délégué le Dr Jokerst sans lequel ce que nous venons d'observer serait resté un insoluble mystère. Notre savant ami vient de nous en fournir l'explication voici une minute : hallucination ou masse de plasma pour cette « apparence » de disque volant et foudre en boule pour le petit globe écarlate qui traversa lentement la salle sous notre nez.

Et, fixant son attention sur le météorologiste qui le foudroyait du regard, il enchaîna :

— Permettez-moi cependant, docteur Jokerst, de vous remettre certains faits en mémoire. Il n'y a pas tellement longtemps, vos savantissimes collègues niaient encore l'existence de la foudre en boule qu'ils expliquaient très sérieusement de la manière suivante : les chouettes ont l'habitude de se nicher au creux des arbres, et, là, des moisissures vaguement phosphorescentes se déposent alors sur leurs plumes. En s'envolant, les chouettes prennent parfois l'aspect d'une... boule lumineuse et voilà le mystère éclairci ([5]). Du moins jusqu'au jour où l'on parvint à reproduire en laboratoire la foudre en boule. Dès lors, il ne fut plus question de chouettes poussiéreuses et lumineuses ; il fallut donc trouver autre chose.

» Et l'on trouva non pas une mais plusieurs explications : le gaz des marais, le plasma et même l'intrusion de masses d'anti-matière dans notre atmosphère ce qui, convenons-en, nous changeait un peu des ballons-sondes, de la planète Vénus prise pour un disque volant et autres bobards accrédités par la science officielle !

Pour la troisième fois depuis l'ouverture des travaux, le Dr Jokerst se dressa en gesticulant :

— Vous maniez l'ironie, Dorval, mais rien dans vos "divagations n'apporte un semblant de preuve et je vous interdis de...

— C'est moi, docteur Jokerst, qui vous interdis désormais de prendre la parole ! explosa le président de la Convention, excédé par ses multiples interventions déplacées. Nous tolérons votre présence, mais je vous préviens qu'à la prochaine tentative de perturbation, je vous fais expulser ! Et si cette perspective vous déplaît, prenez librement la porte !

Il ne prit pas la porte mais le sage parti de se taire et se laissa choir sur son siège en marmonnant.

A 17 heures 30, après avoir entendu divers exposés présentés par d'autres délégués étrangers, le président clôtura la séance et donna rendez-vous aux congressistes pour le lendemain non sans avoir toutefois recommandé à ceux qui avaient pu photographier l'engin volant de confier leurs films à Bill Howard, chargé de les développer sur l'heure.

Après leur départ, Forrest, Dorval et Monica se retrouvèrent à l'apéritif, dans le jardin du motel, mais ils ne bavardèrent de choses sérieuses qu'après que le garçon leur eut apporté le Pernod tonic commandé.

Ils choquèrent leurs verres et le Français déclara :

— J'ai réfléchi à cette invitation que le Dr Jokerst n'aurait pas dû recevoir, Harry. Où a-t-elle été imprimée ?

— Chez Bowes, un petit imprimeur de nos amis, dans le district de Burbank, à deux pas d'ici. Bowes imprime notre bulletin mensuel et je me porte garant de cet homme, que je connais depuis des années. Il n'aurait jamais eu l'idée saugrenue de nous jouer un tour pareil ! Inviter Jokerst à notre Convention, c'est aussi impensable que d'inviter un gars de la S.P. A. à une corrida !

— Un employé de l'imprimerie, peut-être ? Histoire de faire une farce et semer la pagaille ?

— Non, Monica, je ne le crois pas davantage.

Il fit un signe au garçon, lui demanda un téléphone et, une minute plus tard, l'appareil — d'un rose bonbon agressif ! — était apporté et branché à la prise prévue à cet effet sur le pied de la table.

Le président de la Convention exposa à l'imprimeur le motif de son appel et tendit l'écouteur à Dorval. Après un instant de silence étonné, Bowes répondit :

— J'ai imprimé vos invitations il y a deux mois, Forrest, et je suis absolument sûr de mes deux employés. D'ailleurs, ceux-ci ne s'intéressent pas aux U.F.O's et ignorent qui est le Dr Jokerst. N'auriez-vous pas, vous-même, perdu l'une de ces invitations ? Quelqu'un aurait pu la trouver et...

— Non, Bowes. Sur les trois cents bristols commandés, nous n'en avons envoyé que deux cent soixante ; le restant est entre nos mains. Tous les congressistes des States sont venus ; seuls des correspondants étrangers se sont excusés. Et ils sont trop dévoués à notre cause, celle de la vérité, pour avoir commis une telle sottise ! Au reste, il n'est pas un ufologue au monde qui porte Jokerst dans son cœur, faites-moi confiance ! Le stupide aveuglement de ce prétendu savant a fait l'unanimité contre lui, à tel point qu'il s'est discrédité aux yeux mêmes de ceux qui, au sein de l'Air Force, ont utilisé ses « compétences » !

» Essayez plutôt de vous rappeler, Bowes, si vous n'auriez pas gardé un exemplaire des invitations dans vos archives ?

— Bien sûr que si, Forrest, répondit l'imprimeur. Je garde toujours un exemplaire des travaux exécutés chez moi, c'est normal. Mais cet exemplaire de référence est là, dans un classeur. Attendez une minute...

Cette minute se prolongea bien au-delà de soixante secondes avant que l'imprimeur ne reprenne, au bout du fil :

— Je n'y comprends rien, Forrest ; l'exemplaire de référence a disparu ! C'est la seule chose qu'on m'ait volé !

— Comment, cela ? tiqua Dorval, l'écouteur collé à son oreille.

— Auriez-vous été cambriolé, Bowes ?

— Une histoire bizarre, oui. Il y a un mois, on a forcé la serrure de l'imprimerie. C'était du travail bien fait, de l'avis même des flics, venus enquêter le lendemain, car j'avais porté plainte. Les cambrioleurs ont visité mes ateliers sans rien abîmer ni rien voler... Il n'y avait d'ailleurs rien à prendre, sinon le plomb des caractères, mais c'était là un bien maigre butin. Ils cherchaient autre chose. Je n'ai jamais su quoi.

— Ne cherchez plus, Bowes, nous, nous savons. Ils ont piqué l'exemplaire de référence de nos invitations ! Merci et excusez-moi de vous avoir dérangé.

— Il n'y a pas de quoi... Eh ! lança-t-il, en réalisant à contretemps. Pourquoi ces types-là